24 Heures Chrono en eaux troubles
La liberté en chansonspar Naze de pique
La liberté en chansons
par Naze de pique (18/12/2005)
Chacabuco, Chili, 1974. Des prisonniers politiques chiliens réalisent l'exploit d'enregistrer clandestinement une réunion musicale pour célébrer la libération de 45 d'entre eux. Dont Angel Parra.
Caché sous l'estrade, sous le nez des militaires, Luis Alberto Corvalan (*) a immortalisé l'événement à l'aide d'un lecteur mini cassette et d'un immense courage. Sur la bande, les chansons patriotiques, d'amour et d'espoir soufflent plus fort que le vent, repoussant les pas souillés de haine des soldats. Afin de préserver l'authenticité du document, Angel Parra a préféré conserver l'intégralité de l'enregistrement avec tous ses défauts. Le disque s'intitule Chacabuco, du nom de cette petite ville au nord du Chili qui abritait un centre de détention des prisonniers politiques, sous la dictature de Pinochet.
Alger, le 12 juillet 2003, je reçois un coup de fil d'un ami : « Il y a un chanteur chilien engagé qui va se produire à El-Mougar (*) ce soir ! » Jusque là, je ne connaissais pas encore Angel Parra ou alors que de voix...J'arrive à la salle, où une projection retraçant la révolution du Chili emplissait déjà la salle d'émotion. Vers la fin de la projection, le rideau se laisse glisser délicatement sur ce passé douloureux, suivant la cadence d'une musique qui s'amène à petits pas. Puis remonte, avec déférence, pour laisser jaillir la lumière libératrice, débarrassée de l'ombre liberticide de l'époque du despotisme militaire. Poussée par le souffle magique de la flûte latino américaine et portée par la voix chaleureuse et déterminée d'Angel Parra, la musique ne semblait guère éprouvée par son long voyage révolutionnaire. Bien au contraire.
Elle poursuivait, sereinement, son chemin toujours jonchée de paroles d'amour et d'espoir qu'Angel Parra dédiait à Salvador Allende et que le public d'Alger aspirait goulûment de l'oreille. « Je chante des chansons engagées et des chansons d'amour parce que la politique et l'amour vont ensemble », explique Angel Parra, qui excelle à la guitare. Ma mémoire semblait reconnaître cette voix. Elle figurait parmi celles qui avaient rendu hommage à Che Guevara, à l'occasion du trentième anniversaire de son assassinat, dans une cassette vendue à la fête de l'Humanité !
Ma surprise fut encore plus grande, lorsqu'en rentrant chez moi je découvre le vinyle Chacabuco dans, ce que j'appelle, « le musée des sons révolutionnaires » de mes parents. Je fus, soudain, pris d'une vive émotion paralysante, et comment ! J'avais entre les mains une poignée de minutes du combat chilien dans une pincée de liberté. Un fragment de l'Histoire en musique. De surcroît, je venais tout juste d'assister à un concert qui aurait pu ne jamais avoir eu lieu, pour des raisons « historiques » et d'autres « géophysiques » un peu plus récentes. Un concert en signe de solidarité, et d'une amitié vieille comme la terre, entre le peuple algérien et le peuple chilien. Mais contrairement à la terre, qui de faille en faille, continue à menacer les deux peuples, l'amitié, elle, n'a pas pris une seule ride, et les messages vibrant d'espoir transmis aux jeunes générations ne font que la rajeunir davantage. Merci Angel Parra.
Naz de pique
(*) Luis Alberto Corvalan est décédé peu après l'enregistrement sous le coup répété des tortures.
(*) El Mougar est l'une des plus anciennes salles de spectacles. Elle est située au centre d'Alger.